I-J
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YVON INIZAN
D'exil parfois

de tout cela
il est si tard

un père est mort

"de quels souvenirs
maintenant dormirai-je"


VIKTOR ARNAR INGOLFSSON
L'Enigme de Flatey


 "Un bateau à moteur de petite taille mais solide tanguait tout ce qu’il pouvait sur les vagues et s’éloignait de Flatey en mettant le cap au sud. L’embarcation pouvait accueillir un canot à rames, elle était calfatée avec de la poix, et sur ses flancs figurait son nom en lettres majuscules blanches : KRUMMI1. Les matelots étaient trois en tout, un petit garçon, un homme adulte et un autre notablement plus âgé, membres d’une même famille d’Ystakot2, une fermette de l’ouest de Flatey. "

JOHN IRVING
Dernière nuit à Twisted River

A l'usage de son fils, il ajoutait généralement:
- c'est parce que je l'ai pris pour un homme, je n'aurais jamais eu l'idée de frapper un ours avec une poêle en fonte.
- Et qu'est-ce que tu aurais fait si tu avais vu que c'était un ours? demandait Danny?
- J'aurais essayé de le raisonner...

YOUSSEF ISHAGHPOUR
Courbet, le portrait de l'artiste dans son atelier

"Pour Courbet le tout c'est la substance matérielle et elle se trouve identique en tout, sans aucune différence entre la matière et la forme, la substance et la figuration. Il n'a donc pas à constituer un microcosme, mais à rendre sensible et présente la matérialité de ce qu'il peint : la texture, la densité, le poids, la rugosité des rochers, de la terre, de la mer, de l'eau, de la forêt, de sa faune. La substance pour Courbet semble ne contenir que deux éléments seulement, les plus palpables et matériels : la terre et l'eau."


YOUSSEF ISHAGHPOUR
Staël
La peinture et l'image

"...Un mélange barbaresque de véhémence et de tendresse, de violence et de délicatesse, de sauvagerie et de civilité raffinée, si étranger au classicisme, à l'élégance et la "sociabilité" française : "je ne suis unique que par ce bond que j'arrive à mettre sur la toile"...

KAZUO ISHIGURO
Le géant enfoui

"Vous auriez cherché longtemps le chemin sinueux ou la prairie paisible qui, depuis, ont fait la gloire de l’Angleterre. Il y avait des kilomètres de terre désolée, en friche ; ici et là, des sentiers rustiques sur les collines escarpées ou les landes désolées. La plupart des routes laissées par les Romains, endommagées, ou envahies par les mauvaises herbes, disparaissant le plus souvent dans la végétation sauvage. Des bancs de brouillard glacé suspendus au-dessus des rivières et des marécages, fort utiles aux ogres qui, à l’époque, vivaient encore dans ce pays. Les gens qui habitaient dans les environs – on se demande quelle désespérance les avait conduits à s’établir en des lieux si lugubres – redoutaient sans doute ces créatures, dont le halètement était audible bien avant que n’émergent de la brume leurs silhouettes difformes. Mais ces monstres n’étaient pas une source d’étonnement. "


KAZUO ISHIGURO
Un artiste du monde flottant

"Gisaburo, dit-il, après un long silence, n'a pas eu la vie drôle. Son talent a complètement périclité. Ceux qu'il aimait sont morts depuis longtemps ou l'ont abandonné. Même du temps de notre jeunesse, c'était déjà un type triste, solitaire." Morisan marqua une pause. "Mais parfois, nous buvions et nous nous amusions avec les femmes des quartiers de plaisir. C'est ce que les gens appellent le monde flottant : c'était un monde, Ono, dont Gisaburo connaissait toute la valeur." 


ISHIGURO
Les vestiges du jour

"-J'ai fait de mon mieux, mais malgré tous mes efforts, je vois bien que je ne satisfais plus aux exigences que je me fixais autrefois. Des erreurs de plus en plus nombreuses apparaissent dans mon travail. Des erreurs tout à fait négligeables en elles-mêmes — jusqu'à présent, du moins. Mais jamais je n'en aurais commis de pareilles autrefois, et je sais ce qu'elles signifient. Dieu sait que j'ai fait de mon mieux, mais ça ne sert à rien. J'ai déjà donné ce que j'avais à donner. J'ai tout donné à Lord Darlington.
- Mince alors, mon pote. Tenez, vous voulez un mouchoir ? J'en ai un sur moi. Ah, le voilà. Il est presque propre. Je me suis juste mouché dedans une fois ce matin. Allez-y, mon pote."


ANDREÏ IVANOV
Le voyage de Hanumân

«Je me disais, assommé, que tel était le monde où j'étais allé me coller comme dans de la merde, parce que j'étais né sous une mauvaise étoile. Dans les brumes de la défonce, je raisonnais: il était donc écrit que, puisqu'un jour j'étais sorti du cercle routinier de ma vie, que j'avais fui une existence moche, mais moche familière, que j'avais dévié du cours ordinaire des choses, je devais, comme une roue qui s'est détachée de sa charrette, m'en aller rouler ailleurs et finir ma course ici, dans ce trou(...)»

RADA IVEKOVIC
Le sexe de la nation

Comment le sujet, le citoyen, peut-il s'arracher à la communauté primaire pour accéder à la société (et à une communauté secondaire), pour dépasser son propre ego ? Comment faire en sorte que cette société s'immunise contre la violence, qu'elle s'extraie de l'ordre patriarcal? Comment éviter que la virtualité de la violence ne devienne actualité? Ce qu'il y a à retenir, c'est que toute clôture du discours et du débat est néfaste, et participe de la violence qu'elle croit juger. Ce qui n'empêche du reste pas qu'il y ait de bons et de moins bons récits.
S'il y a cette ouverture vers l'avenir, ce qui n'a pas eu lieu peut encore arriver. S'il y a cette chance, on ne peut pas prouver le caractère inévitable de la soumission en avançant qu'elle a existé de tout temps.

PHILIPPE JACOTTET
Beauregard

Sous le ciel argenté comme un immense miroir où les derniers oiseaux seraient des reflets sifflants, violents, d'autre chose.
Les prés chantonnent à ras de terre contre la mort ; ils disent l'air, l'espace, ils murmurent que l'air vit, que la terre continue à respirer.

Je n'ai jamais su prier, je suis incapable d'aucune prière.
Là, entre le jour et la nuit, quand le porteur du jour s'est éloigné derrière les montagnes, il me semble que les prés pourraient être une prière à voix très basse, une sorte de litanie distraite et rassurante comme le bruit d'un ruisseau, soumise aux faibles impulsions de l'air.


PHILIPPE JACCOTTET
Un calme feu

Il faudrait d'abord montrer un territoire qui n'est qu'un grand désordre de pierres, comme à la suite d'un lointain cataclysme, et où marcher n'est pas toujours aisé.Toutefois, ce n'est pas un désert, car il y a là des oliviers et de la vigne, des pans de terre rose, des sentes dans les herbes folles et les plantes sauvages. Lieux rudes, peu amènes, mais d'une solide assise. Lieux nullement funèbres, mais sévères, dénudés, dont on se dit que, pour y vivre, il a fallu «s'armer de patience», se montrer frugal et endurant. Avec cela, un chaos partout couronné de beaucoup d'air, cuirassé de lumière.

CHRISTIAN JACQ
Néfertiti

"Elle, la femme la plus puissante d'Egypte, dotée des pouvoirs d'un pharaon, était seule face à la mort."

JEAN-LOUIS JACQUIER-ROUX
il ferait beau voir

De son sabot lentement le cheval
creuse la neige. Rares oiseaux autour

de la maison. Occuper les heures jusqu'au soir
dans la trouée. Rien ne vient.
Ni personne.

Fatigue emprisonnée toute
dans la résille du plomb
Appel de la lumière
comme un cri forcé
Feu qui rogne
ampute les ailes

On voudrait être à la hauteur on n'écoute que soi.

 

VACLAV JAMEK
Traité des courtes merveilles

"Cousu et décousu de distances, et pas de distance qui me sépare de mes distances, je suis le non-lieu, le défaut d'être que les distances ficellent."

"Il naissait des hommes quelquefois, fascinants entre tous, qui ne devaient être, sous les doigts de la vie, que de puissants instruments de résonance: cette vie qui cheminait dans les multitudes, péniblement, obstinée, sourde et contrainte, cette vie soudain retentissait en eux avec force, éclatant, rejaillissant sur toutes les destinées obscures, spoliées, sacrifiées, pour les rétablir dans les irisations sans fin, dans l'effusion torrentielle de leur splendeur."


ALEXANDRE JARDIN
Le zèbre

"Tromper le Zèbre en continuant à se délecter des roucoulements manuscrits de l’inconnu revenait désormais à trahir ses efforts. Camille n’eut pas ce cynisme. Elle décida de conserver l’enveloppe dans la poche intérieure de son tailleur, pliée en deux ; mais à peine se redressa-t-elle qu’une ombre jaillit de l’une des stalles et la bascula dans la paille. Elle n’eut que le temps d’étouffer un cri. Le Zèbre la chevauchait déjà, une main plongée dans son corsage et l’autre sous sa jupe, palpant le haut de sa cuisse gauche"


ALEXANDRE JARDIN
Fanfan

"Je voulais désespérément croire en l’éternité des mouvements du cœur, au triomphe de l’amour sur les atteintes du temps. Il y avait en moi un jeune homme romantique qui aurait souhaité n’éprouver que des sentiments inusables, un jeune homme qui vomissait les mœurs de ses parents. Voilà pourquoi à dix-neuf ans je m’étais juré de ne jamais regarder qu’une seule femme."

 

ALAIN JEGOU

ALAIN JEGOU
Direct live

DOORS
Absolutely live
Boston, Detroit, Los Angeles,
New York, Philadelphie, Pittsburg
juillet 1970

"...« Forget the bomb, forget Fat Man *, forget Enola Gay** » et ta carne irradiée dans l'eau claire du lagon. Flash dans les chasses et tassée de neutrons contre un petit coin d'éden à l'ombre des rérés. Le cœur tout chose et la conscience shootée aux essences de tiaré.

Qu'est-ce que tu fous à Muru, Frani?
—J'attends la fin du compte à rebours, pour voir monter
dans le ciel le drôle de champignon.

Cancer pour tout le monde. La méga dose de drames à la portée de tous. Le chancre généreux propulsé dans l'éther, comme un vulgaire bubon. Miracle de la technique et du génie humain. L'effort de mort sournoise au service de l'État sis à plus de 20 000 bornes du bunker névralgique. Mouchés les tue-menus, daufés les comiques troupiers, englandés jusqu'à l'os par les ténors du CEA***.

« Iaonara Frani », qu'elle t'avait dit la vahiné de Faa, entre ta descente d'avion et ta montée dans le GMC. Juste un sourire volé, quelques fragrances de corps rapidement sniffées avant que les crânes rasés te mettent le grappin dessus.

Bienvenue en Polynésie française, Ducon!"

*Nom donné à la bombe d'Hiroshima.
**Nom de l'avion qui la transportait et la lâcha sur la ville.
***Commissariat à l'énergie atomique


ALAIN JEGOU
Totems d'ailleurs

"nostalgie bleue
l'inaccessible de soi
qui craque après la grève
la mouille encore
fictive de jusant
charrie ton corps-galet"

"Une aube qui nous doit tout
pour un regard embué
tendre matin frileux dans la carence des mots
le silence colorié par rafales
passionne d'un autre exil"

"mémoriser l'instant
qui nous grenaille le coeur
et ne plus dire qu'ailleurs
ses espaces fortuits."



"Alain Jégou aime tracer sa route à l'écart, seul et libre de dire (faire) ce qu'il veut comme il l'entend. Ses Totems d'ailleurs en constituent bien sûr une (é)preuve de plus. Autre chapitre à verser au livre ouvert d'un poète qui poinçonne l'horizon avec son âme en vadrouille. Il n'a pas peur, lui qui alpague l'écume pour blanchir les ténèbres. Il tire la langue au destin. Il ébrèche sa bière en allumant un feu de lande sur le zinc. Il vide, cul sec, une Gold à la renverse avant de se lever pour aller tirer le bois de L'Ikaria (c'est ainsi que se nomme son chalutier) entre les pierres rétives qui marquent la sortie des ports de Lorient ou de Doëlan. Il gagne ensuite la haute mer. Voit la nuit qui musarde du côté du phare de Pen Men. Cisèle juste l'image. Un morceau de poème, une syntaxe de flotte." Jacques Josse


ALAIN JEGOU
Numa Naha

mémoriser l'empreinte
du courage sur le visage
de la mort pâle
retrouver l'instinctive fluidité
de l'âme réconciliée
avec son univers primaire
libre de toute contrainte
des craintes inoculées
et de pensées cupides
laisser chanter l'Indien
et pénétrer les vents
en nos dévergonderies
et décryptages d'esprit



En guise d'épilogue

le coeur un jour
sanglé
comme les nuages rouges
emprisonnés
dand les paumes
de la mort au visage pâle


ALAIN JEGOU
Passe Ouest

suivi de
IKARIA LO 686070

Marée haute. Marée basse. Courant de flot. Courant de jusant. Les filets taillent la route dans la folie fugueuse du flux exaspérant. Descendent roides, se tendent à s'en péter la toile et les torons. Dérivent au gré du fil furieux avant de sombrer, boules par-dessus plombs, ou de rouler comme des tortillons, dans le profond hostile, ingrat et turbulent.


ALAIN JEGOU
Ne laisse pas la mer t'avaler

Yann Le Flanchec avait signé son premier embarquement en octobre 1976, le 7 octobre précisément, son fascicule l'attestait. En quête d'un embarquement à la pêche et après avoir traîné vainement ses guêtres dans le port de Lorient- Keroman, il avait décidé de poursuivre ses recherches dans le Finistère sud.
Passé la rivière Laïta, il fit halte dans le petit port de Doëlan où il rencontra, par un heureux hasard, le patron du Skrilh- Mor, un caseyeur de 13 mètres de long, qui avait débarqué un de ses matelots la semaine précédente. L'homme, lassé par le métier de casiers avait préféré retourner au chalut sur une pinasse de Concarneau. Yann tombait au bon moment et regagna son quartier de Lorient avec une promesse d'embarquement dûment remplie et signée par son nouveau patron.


ALAIN JEGOU
Juste de passage

En griller une ou pas
Dans l'air du temps
Laisser filer son souffle
Au teint nicotiné
Ou se serrer le kiki
Et stanguler l'envie
Blabla conflictuel
Convulsif et confus
Intox amoniaquée
Versée sur la matière contrite
Viandox inquisiteur
Dilué dans la grisaille
De pensées naufragées
Lourd dilemme
Aux toxines irritantes
Et conséquences crétines

ELFRIEDE JELINEK
Enfants des morts

"Dans la montagne, où la quiétude est facilement déchirée par les éclairs, épouvantes fugaces qui au fond produisent bien peu mais déglinguent beaucoup, dans la montagne, donc, quelques personnes ont disparu. En contrepartie d’autres sont revenues, nous ne les regrettions pas du tout. Nous avons vécu tout ça en parfaite sécurité et nous en parlons comme si un mot nous avait juste effleurés puis, en passant, soudainement agressés. Les disparus se sont instillés encore un moment dans les fêlures de la montagne, troupeau bien convenable à la recherche d’une protection sur les versants accores et à cri, puis on les a dévissés en un tournemain. C’étaient de ces gens, vacanciers, qu’on retrouve tout le temps et partout, aussi on s’étonne franchement qu’ils soient partis. Pour les bêtes ils exigeaient des laisses, pour les hommes des commandements : Personnages qui un beau jour ne réapparaissent plus à la réception de l’auberge, dommage, on s’était habitué à les servir. Du coup ils n’iront plus à la gamelle, jamais, et qui saisira alors l’assiette de la beauté, ici, maintenant, attendu qu’ils sont loin ? Qui les a soustraits à la nature, leur deuxième patrie ? L’érudit tangue et brimbale de tout son être comme dans un véhicule mais qu’il veuille se reposer un peu il n’a plus rien pour se tenir. Il a saisi l’immédiat et c’était précisément le médium pour transformer ce qui lui était sacré en son contraire : sa simple présence ici, les belles montagnes ! Là notre exigence. "

JUAN RAMON JIMENEZ
Journal d'un poète jeune marié

"-Pourquoi ne restez-vous pas ici?
-Parce que je suis poète et ceci je peux le raconter, mais pas le chanter."


ALFONSO JIMENEZ
Rire parmi les hirondelles

Planer dans les couleurs
remuer comme les branches
habiter le vent

Vivre dans l'air du temps
avoir des ailes sous les paupières
et dans la mémoire.

 

Illustrations de Kelig Hayel
2006

BORIS JITKOV
Victor Vavitch

traduit du russe par Anne Coldefy-Faucard et Jacques Catteau

"Jour de soleil inondant la ville. Midi, les rues désertes pantellent."

 

OLIVIER JOLY
Madagascar

"Cette terre-ci est étrange.Elle m'apparaît enrobée de tant de mystères que rien ne m'étonne, que l'impossible peut bien ne pas l'être.
Le brin d'herbe, l'air que je respire, tout est mystère, et à tout moment on se heurte contre on ne sait quoi de surnaturel qui donne à l'ensemble une tonalité hors de l'humain. L'on baigne dans l'invraisemblable et le merveilleux."
Jacques Rabemananjara ( Les boutriers de l'aurore )

ELENA JONCKEERE
Le Faune Barbe-bleue

" Il faisait froid. J’avais dû patienter plusieurs heures devant les arches massives du MET, au numéro 1000 de la Cinquième Avenue, avant de m’engouffrer dans la gueule du mastodonte de pierre. Après toutes ces galeries suburbaines au sol sonore, j’étais soulagée de retrouver un espace à la lumière captive, parqueté, blanc et blond, moins hostile, somme toute. Au deuxième étage, dans la galerie d’art moderne et contemporain, tout semble plus épuré. On est presque à l’abri. Dans la clarté. Au centre, dans l’aquarium, la mariée flottait. C’était une VRAIE mariée. Blanche-Neige en suspension. "

PHILIPPE De JONCKHEERE
Je ne me souviens plus

"Je ne me souviens plus, d’une fois sur l’autre, de la recette de la pâte à crêpes. Je suis chaque fois contraint d’aller la regarder sur internet. C’est quand même bien pratique internet. Ne serait-ce que pour la recette de la pâte à crêpes. Il en va de même pour les clafoutis. Et pour le clafoutis aussi c’est bien pratique internet."

 

JACQUES JOSSE
(La page Jacques Josse sur ce site )

GIL JOUANARD
Savoir où

Se dire que l'on vient trop tard dans un peuple frisant la sénilité n'est certes jamais réjouissant; mais, à tout prendre, pour sa destinée personnelle et sans souci de prospective, c'est certainement moins affligeant pour l'esprit, et souvent beaucoup plus savoureux, que de venir trop tôt dans un peuple débile...

 

DAVID JOY
Ce lien entre nous

"À travers le pare-brise, des brocantes vides et des stations-service faiblement éclairées défilaient floues à sa périphérie. Il passa devant des champs simplement séparés de l’autoroute par une mince rangée d’arbres, des champs jaunis d’avoine et de joncs dans lesquels de vieilles granges s’écroulaient sur elles-mêmes comme de la cendre grise. La route était déserte après Bryson City, l’ombre noire des montagnes se refermant autour de lui, la nuit désormais totale."

VERONIQUE JOYAUX
Haies vives

Retenir cet infléchissement du jour,
Fendre l'espace telle une marée,
une eau forte.

 

Couverture : Jardin de pavots. Tenture (détail) de Eva Demarelatrous.

CHRISTOPHE JUBIEN
les peupliers de beausoleil

Une crêpe au sucre
et le téléphone sonne
plusieurs papillons blancs
autour de la putain

 

Une aile arrachée
à une mouche morte
il y a bien longtemps
regarde-moi en face

ROBERTO JUARROZ
Quinzième poésie verticale

"Il ne nous reste qu'à dresser notre propre forêt,
avec à la place des troncs,
des branches et des feuilles,
ce feuillage entre-tissé
de paroles et de silence,
cette forêt pleine de musiques secrètes,
cette forêt que nous sommes
et où, parfois, chante aussi un oiseau."

NUNO JUDICE
Traces d'ombre

"Alors la peur est quelque chose qu'il faut aller chercher tout au tréfond de soi, dans cette mémoire venue d'époques anciennes, dans ce froid qui descend subitement dans le corps, lorsqu'un vent hivernal charrie l'image d'un jour où l'on n'aurait pas dû ouvrir le journal, mais il était difficile de ne pas le faire en une période où le journal, même avec tout ce qu'il ne disait pas, était le seul moyen de sentir que le temps n'était pas immobile."


NUNO JUDICE.
Un chant dans l'épaisseur du temps

"L'évidence du blanc est aussi obscène
que l'été littoral de l'adolescence."

 

CHARLES JULIET

CHARLES JULIET
Entretien avec Pierre Soulages

Celui qui regarde une œuvre la reçoit avec sa sensibilité, son expérience, sa culture ... Les sens qu'on lui prête peuvent venir se faire et se défaire sur la toile, il ne s'agit pas d'un message. Quand je peins, je ne me propose pas de communiquer un sens, la peinture n'est pas signe, signe porteur d'une signification: le message transmis, le signe n'a plus d'intérêt, on peut le détruire.
L'œuvre d'art demande à être fréquentée. Outre un plaisir renouvelé, elle apporte toujours quelque chose d'essentiel.

Un artiste n'a pas à témoigner de son époque, il est fait d'elle.

CJ: " Vos toiles n'empruntent rien au monde extérieur?"

-Pierre Soulages:" Elles ne lui empruntent pas d'images : elles ne représentent pas. Ne représentant rien, n'imposant pas de sens, elles incitent le spectateur à se constituer lui-même comme sens."


CHARLES JULIET
Trouver la source

"Je suis le regard qui s'élève au-dessus de moi pour prendre une vision globale de ce que je suis. Et je suis cet autre regard qui, surplombant le premier, s'acharne à discerner ce qui en limite et en altère la vision. Puis qui s'emploie, dans un second temps, à récurer cet oeil, l'arracher à tout ce à quoi il demeure encore soumis."

"La lucidité sape, tranche, arrache ce qui appartient au moi- le mesquin, le caduc, l'entravé. Ainsi, dans cet espace qu'abrite l'individu, elle fait le vide, et c'est alors qu'elle construit le meilleur à son épanouissement, lequel ensuite dévale, se répand en ondes lentes, puis reflue- chaque vague remontée s'ajoutant alors à celle qui déferle."


CHARLES JULIET
D'une rive à l'autre

"J'avais ce besoin de silence, de solitude, de contemplation. Les plus hauts états de l'être, on les vit dans la passivité, quand il n'y a plus de peur, d'angoisse, de désir, de vouloir ... Alors, en coïncidant avec soi même, avec son centre, on est submergé par la jouissance d'être. On se trouve inondé par une joie grave, calme, une joie à laquelle est mêlé un fond de souffrance. Bonheur d'être et douleur d'être sont souvent vécus en même temps. Ils n'interagissent pas l'un sur l'autre. "

 



CHARLES JULIET
Trouver la source

"Je suis le regard qui s'élève au-dessus de moi pour prendre une vision globale de ce que je suis. Et je suis cet autre regard qui, surplombant le premier, s'acharne à discerner ce qui en limite et en altère la vision. Puis qui s'emploie, dans un second temps, à récurer cet oeil, l'arracher à tout ce à quoi il demeure encore soumis."


CHARLES JULIET
L'autre faim

"Pour restituer ce que je perçois de ce qui fermente et bruit dans mes limbes, la voix qui se fait entendre au long de mes mots doit être lente, grave, sourde. Seule une telle voix peut donner à ressentir ce que j'éprouve lorsque, enfoui au plus intime de moi-même, j'ai une conscience aigüe de la beauté et du tragique de la vie."

"Aller vers l'autre en ayant l'intuition de ce dont il peut avoir éventuellement besoin."

MICHEL JULLIEN
Denise au Ventoux

"Nature morte à la savonnette, un galet contradictoire montrant ses teintes orgeat sur le dessous, là où il trempait, fondant du poids de ses huiles et, face ciel, au sec, une teinte vieux cuir, le galbe attaqué d’un réseau de crevasses irrécupérables. Je l’ai pris, je me suis lavé les mains avec, chaque face du savon me faisant préférer l’autre comme il tournait sous mes paumes, incapable de produire la moindre mousse, contacts adverses, glu et gerce. Et sous cette savonnette, peut-être la seule à se détacher, à pouvoir en redire aux autres, mieux rangée dans le fourbi près des nouilles, la principale, la nature morte aux boîtes d’anxiolytiques, certaines entamées, d’autres vierges."


MICHEL JULLIEN
L'île aux troncs

"En ce sens Valaam a des airs d’utopie. C’est une île, une cosmogonie serrée dans un mouchoir de poche, un ailleurs fermé, une pastille au regard des 22,4 millions de kilomètres carrés de la Russie d’alors, une contrée sans échanges, difficile d’accès et où les choses à leur façon s’inversent le mieux du monde : l’eau est solide la plupart de l’année ; ceux qui l’habitent marchent sur les mains, ils sont héros et déchus ; les corps ont à la fois une expressivité anatomique indubitable et une allure irréelle, les gueules sont dignes et risibles ; les autochtones hurlent de douleurs illusoires sur des jambes fictives et cependant elles sont réelles, cuisantes. Ils vont comme clopinent les utopies, pleins de tics affreux. Les cirques aussi sont des utopies ambulantes où les sociétaires ont chacun leur don peu commun, marcher en l’air, manger du feu, tutoyer les félins, se contorsionner…, n’importe la prouesse, ils forment une famille retranchée, hors normes, un bouquet de mirages bien complets, une utopie sciemment mise en lumière le temps d’une représentation à la face du monde, avant le tomber de rideau. Valaam, Freaks. Et comme chez Thomas More d’une certaine façon, ceux du lac Ladoga sont tous semblables, égalitaires de condition, de mémoire, de sexe et, sinon Kotik, hauts comme trois pommes. Pourtant Valaam n’est pas une fiction récréative, le sort baillé à la congrégation insulaire n’a rien d’une allégorie imaginée par un esprit volage. L’île serait plutôt une anti-utopie dans laquelle la colonie rivaliserait d’hyperréalisme morphologique sans qu’aucune idéologie politique ne préside à l’exil. L’île aux troncs, l’île aux remords du pouvoir soviétique.


Pieter Brueghel l'Ancien, Les mendiants, 1568

"Le pays taille grand on l'a dit, 22,4 millions de kilomètres carrés, un sixième du relief terrestre avec la miette de Valaam quelque part, trempée dans son lac, pas plus remarquable qu’un camée perdu dans les collections de l’Ermitage, du Prado, du Louvre.
Le Louvre, le musée, c’est deux cent mille mètres carrés, un foutoir de chefs-d’œuvre parmi lesquels ce tableautin de Brueghel pendu sur un grand mur, un minuscule îlot de peinture haut de dix-huit centimètres seulement, perdu dans l’une des salles comme l’est Valaam sur la carte, un petit panneau à l’huile, une microscopie esthétique, un Lilliputien au musée, Les Mendiants. Brueghel a peint des gars peu fameux, cinq traînards, cinq éclopés clampinant à l’aide d’attelles invraisemblables, des prothèses de fortune ligotées à ce qu’il leur reste de bûches articulaires. Ils sont farceurs malgré eux, amis et adversaires, limaçons en pied, débrouillards, des grelots les annoncent, la loupe de l’utopie les resserre dans le périmètre miniature, espèces d’hommes-sacs (ils ont des gueules de sac), les tibias envolés, des pieds absents, reptant à l’intérieur d’un cadre riquiqui au dos duquel, moitié latin, moitié flamand, on ne sait quelle main après coup a tracé cette stimulante adresse qui vaudrait comme devise à Valaam : Courage, estropiés, salut, que vos affaires s’améliorent. "

SEBASTIEN JUNGER
La Tempête

"Spillane ne se rappelle pas le moment où il a heurté la mer, et il ne se rappelle pas non plus le moment où il s’est rendu compte qu’il était dans l’eau. Il se souvient être tombé et s’être retrouvé en train de nager, mais il n’y a rien entre les deux. Lorsqu’il se rend compte qu’il est en train de nager, c’est tout ce dont il se rend compte – il ne sait pas qui il est, pourquoi il est là ou comment il est arrivé là. Il n’a pas de passé et pas d’avenir ; il n’est qu’un petit morceau de présent, la nuit, au milieu de l’océan. "